Conseil municipal du 14 avril 2025
Rapport 2025-81 Principe de la constitution d’une Société d’économie mixte à opération unique (SEMOP) avec attribution d’une délégation de service public portant sur la rénovation et l’exploitation de l’Astroballe
Intervention de Jacques Vince
M. le Maire, chers collègues,
En février 2023, lorsque nous avions débattu ici même de la convention d’occupation de l’Astroballe par l’ASVEL professionnel, notre groupe avait évoqué le money time, ce moment ultime où tout se joue alors que les joueurs sont déjà sur le terrain depuis longtemps.
Notre mythique ASVEL est sur le terrain villeurbannais depuis 1948, la partie n’est pas encore terminée, et nous réaffirmons ici fortement que nous aimerions pouvoir jouer les prolongations.
À l’époque, nous avions aussi réclamé des preuves d’amour à l’ASVEL. Le vert historique du club, que nous avons eu plaisir à voir ressurgir l’espace d’un match tout récemment, est devenu blanc ou noir, le nom de la ville a été effacé du maillot, une partie des matches est jouée hors de Villeurbanne. Le club est-il plus attaché à la ville qu’à ses intérêts financiers, sous contrainte d’un sport business qui le dépasse ? C’est une question que nous nous posons encore et à laquelle la présente délibération ne nous permet pas de répondre.
L’Astroballe est la salle de l’ASVEL depuis 1995, détenue et exploitée par la ville.
Nous y avons déjà beaucoup investi. Son fonctionnement coûte cher. Si ce coût profitait à un très grand nombre de villeurbannaises et villeurbannais, ou permettait d’accueillir des événements municipaux plus nombreux, il n’y aurait rien à redire. Mais force est de constater que les investissements récents ne suffisent plus. Pour des raisons réglementaires d’abord, en particulier du fait de l’obligation de rénovation énergétique.
Il faut le reconnaitre, été comme hiver on a parfois la double peine : le confort thermique n’est pas au rendez-vous malgré une dépense énergétique irraisonnable.
Mais aussi parce que l’ASVEL exige toujours plus. On ne le lui reproche pas : le club est pris dans une spirale compétitive pas seulement sur le terrain mais aussi sur le plan financier, en faisant face à des clubs qui demandent toujours plus, qui obtiennent toujours plus, en faisant appel à des capitaux privés détenus par des groupes qui investissent dans le sport comme il pourraient investir dans n’importe quel autre bien de consommation.
Donc oui, le temps d’agir est venu et nous saluons ici votre volonté de trouver des solutions Monsieur le Maire. Mais comment agir ? Pour quelle destination au profit des villeurbannaises et villeurbannais, pour quels usages et pour quels coûts ? En tissant quels liens avec le projet urbain dans lequel il doit s’insérer ? Voici finalement les questions qui se posent à notre équipe municipale. Tout comme vous, Monsieur le Maire, nous ne refusons pas d’affronter ces questions complexes, qui demandent du temps et de l’expertise. Mais avec la délibération présentée ce soir, qui engage pour 30 ans, ce sont un peu ces questions que nous devrions trancher, ou que nous déléguons à d’autres… Et les incertitudes et trajectoires envisagées nous laissent très réservés.
D’abord, que voulons-nous faire ? On aurait pu imaginer investir les 10 millions nécessaires pour se mettre en conformité, en tentant de diversifier les usages pour la population, quitte à augmenter légèrement les dépenses de fonctionnement. Il est possible que ça ne suffise pas aux exigences du club. Mais est-ce que les 60 millions d’investissement projetés suffiront pour maintenir le club en terre villeurbannaise ? Nul ne le sait. Vous nous direz qu’il fallait essayer, que le risque n’est plus pris par la ville mais par des investisseurs privés. Mais qu’adviendra-t-il si le modèle économique n’est pas viable puisque nous n’en avons aucune certitude ? Les projections quant à la viabilité nous semblent encore hasardeuses. Il n’est par exemple pas exact d’indiquer comme cela a été dit en CCSPL qu’il manque dans la métropole un équipement culturel de 6 000 places. C’est la jauge classique de la Halle Tony-Garnier, qui elle aussi va bénéficier d’un nouveau programme d’investissement.
Une fois cette direction prise, le choix de l’outil SEMOP nous parait plutôt adapté. Mais comme au sujet du modèle économique, il nous fait nous projeter dans un avenir incertain et bien flou…
Une fois les réponses à l’Avis d’Appel Public à la Concurrence reçues, il est probable que nous n’ayons pas bien le choix : au regard de l’équilibre économique envisagé, seuls de grands groupes postuleront, assez peu regardants sur une programmation et une tarification sociale des événements, sur le service à la population locale. Je ne vais pas citer ces groupes pour ne pas leur faire de publicité mais nous les connaissons, ils possèdent désormais la quasi-totalité de la chaine de valeur, pour le sport (l’équipe, les sponsors, puis le stade), ou pour la culture (l’artiste, le marchandising, la billetterie…). Des mastodontes de ce qu’on a coutume d’appeler l’industrie de l’entertainment. Puis, après le naming du club, on procède facilement à celui de la salle. Après « LDLC Arena et « Groupama Stadium , quelle marque pour venir se positionner devant Astroballe ? Le risque est fort d’éclipser la diversité à laquelle nous sommes tant attachés, sauf à être exigeant dans le cahier des charges de la consultation : le sera-t-on ? À ce stade nous ne le savons pas.
Par ailleurs, si le coût affiché par la ville est estimé à 10 M€ soit autant que les montants imposés réglementairement, les lauréats accepteront-ils ce plafonnement ou fera-t-il l’objet de négociations ultérieures ou d’appel à subventions comme il est indiqué dans le rapport ?
Vous avez compris nos réticences même si nous ne négligeons pas la nécessité d’agir. Mais pour éclairer un peu plus notre décision, nous avons aussi étudié cette délibération au prisme des trois transitions de notre majorité :
• La transition écologique d’abord :
Oui il faut agir sur le volet énergétique qui est un argument de poids important de la délibération et de la nécessité d’agir. Cet investissement et les dépenses de fonctionnements récurrentes ne peuvent pas profiter qu’aux clubs professionnels, le surcoût est trop important. Mais ne pouvait-on pas faire preuve d’imagination pour augmenter l’intensité d’usage une fois ces travaux effectués ?
En outre, une telle salle de spectacle a un impact considérable en termes de déplacements, de consommation in situ (et des déchets liés) dont le rapport ne fait pas mention.
• La transition démocratique ensuite:
Ce projet arrive alors qu’il n’a été discuté ni avec les Villeurbannais en général ni avec ceux du quartier Bonnevay en particulier. Rappelons que ce projet ne figurait pas dans notre programme. Nous souhaitons que le débat public soit organisé pour qu’un tel projet soit présenté dans une approche urbaine et sociale plus globale des transformations d’ensemble à venir sur le quartier Bonnevay/Cusset/La Soie. C’est essentiel et nous aimerions que les soumissionnaires y pensent dès maintenant si le rapport est voté.
• L’égalité sociale enfin:
Pour inscrire un tel projet dans la ville pour tous et toutes, comme nous le faisons avec de nombreux autres projets, nous avons besoin d’engagements sur l’insertion dans le quartier, sur la variété des activités et sur la tarification par exemple. L’hypothèse d’une exclusion de fait d’une partie des habitants de Villeurbanne pour des raisons économiques peut devenir une réalité, renforçant le sentiment de relégation.
Vous l’avez compris, M. le Maire, nous avons bien conscience que l’équipement municipal que constitue l’Astroballe doit faire l’objet d’une attention particulière. De ce point de vue, nous ne pouvons vous que saluer votre volontarisme. Mais il nous semble difficile de valider en l’état ce rapport : précipitation, incertitudes, promotion d’un modèle de société qui vient heurter nos valeurs… nous conduisent à choisir de nous abstenir.
Je vous remercie.
Seul le prononcé fait foi